20/04/2006

Une politique numérique ne se limite pas à l'outillage

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Il y déjà 20 mois, un des tous premiers billets publié par mes soins sur ce blog portait sur le management numérique du territoire et souhaitait dépasser des visions certes très pertinentes, mais un peu limité à la tuyauterie. Depuis, on n’a visiblement pas beaucoup progressé si j’en juge par cette initiative. Les débats sur la DADVSI viennent (et continuent) de démontrer une vision politique centrée sur les outils et la technique, l’absence sidérale d’appropriation des enjeux de fonds que représente la société de l’information et au final l’incurie des dispositions et leur décalage complet avec la réalité d’un changement profond et très rapide. Il est donc effectivement bon que des initiatives tentent d’amener un peu de hauteur de vue.


Le constat, c’est donc d’abord et avant tout une forte orientation des politiques territoriales sur des enjeux de couverture. La coloration travaux-publics doublée de problématiques d’affermages et de concessions qui parlent à notre administration et à nos élus, placent le sujet en territoire connu. Pourtant, cette apparente facilité n’a cependant permis qu’à une minorité de territoires de s’engager. Nous sommes pourtant bien au XXIe siècle, celui de “l’économie de la connaissance” et clairement, une bonne moitié de la France n’a pas encore intégré ce fait comme élément central de sa politique de développement, tout au moins jugé que ce n’était pas de son ressort. C’est étonnant dans un pays avec une culture interventionniste assez prononcé, mais à réduire la problématique numérique à du génie civil, il n’est pas étonnant que les enjeux de fonds ne soient pas apparus à beaucoup.
Le second écueil à une réelle prise en compte de la question, c’est une approche de l’e-administration très concentrée sur la réduction des coûts. Il y a là un objectif louable, mais c’est une façon d’aborder la question qui centre trop le problème sur l’idée qu’il ne s’agit que de se moderniser par les outils et qui n’invite pas à la remise en cause des organisations que suppose une véritable intégration de la Société de l’Information, alors que c’est justement à ce niveau que se situent les gains véritables. Maintenant, ce n’est pas moi qui vais nier que les difficultés pour passer de la pyramide au réseau ne donnent pas des sueurs froides.
À ceci s’ajoute l’absence généralisée d’instruments pour piloter que sont les observatoires territoriaux dans le domaine numérique. J’y reviens régulièrement
mais comment peut-on engager un tant soit peu de réflexion si on ne sait pas où l’on en est et si l’on ne se donne pas les moyens de mesurer le résultat ? Et puis encore faudra-t’il savoir appliquer les bons filtres pour tirer du foin de la dynamique générale de la Société de l’Information les signaux pertinents caractéristiques de l’impact des actions engagées.
Ça y est, on brûle ! Il suffit de regarder de près et de voir comment est prise en compte la dimension numérique dans le management.
Si l’on considère la problématique numérique comme centrale pour l’avenir de nos territoire, ne serait-ce que le système d’information comme coeur de l’action et du fonctionnement administratif, il devrait se trouver un Vice-Président numérique. C’est ce dont nos universités ont commencé à se doter depuis l’impulsion donnée ces 3 dernières années aux Universités Numériques en Région et autres ENT. J’en viens d’ailleurs à me demander s’il ne faudrait pas un ministère à la société de l’information (et pas uniquement de la réforme de l’Etat – encore une vision “outil” si réussie soit-elle) dans notre prochain gouvernement et peut-être déjà un conseil interministériel régulier, histoire de montrer que c’est important.
Un décisionnel politique spécialisé et placé au plus haut niveau, voilà ce qui manque déjà. Ensuite, il suffit de constater que son équipe est bien souvent encore concentrée sur la DSI ou plus largement sur des profils techniques pour voir qu’il manque une forte dimension réflexive sur la conduite de changement, quand il n’y a tout simplement pas de réelle gestion de projet.
Le plus fascinant, c’est de constater que pendant que l’on ne se pose pas les bonnes questions, celles des hommes et de l’organisation, les dispositions légales qui forment les exigences de qualité de l’administration électronique se renforcent. Quand on voit la qualité de gestion des requêtes par mail, sans parler de la maintenance éditoriale, on se dit que nos concitoyens sont bien tolérants.
Il reste un mot que je n’ai pas cité et pour cause. L’utilisation du mot “usage” est à en effet éloquente. Son usage est un passage obligé pour tout décideur parlant de TIC, sauf que bien malin celui capable de dire de quels usages il parle et de ce qu’il compte en faire. Quand il n’a pas les instruments de mesure pré-cités, ça n’a aucun sens !
Il y a un presque un an, je m’interrogeais déjà sur la prise en compte des usages dans les politiques territoriales et surtout sur les mauvaises raisons de leur absence dans les projets. J’aurai très bien pu écrire cela aujourd’hui, je ne vois pas ce qui a vraiment changé.
En conclusion, ce n’est pas étonnant qu’il n’y ait pas de prospective numérique au niveau des territoire. On a réduit le problème à du génie civil pour rendre les projets plus présentables et on s’étonne aujourd’hui qu’il n’y ait que cette vision réductrice. On commence tout juste à sortir de la tuyauterie pour se doter d’un pilotage politique spécialisé, mais il lui faut maintenant dépasser la logique des outils et se doter des instruments d’étude pour prendre le pouls du terrain et mesurer le résultat de ses actions. On n’est pas arrivé !

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