11/12/2007

Eloge du payant

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Nous nous étions finalement habitués à une sorte de dictature du gratuit et à l’omniprésence des modèles de financement par la publicité. Personnellement, j’ai toujours trouvé ça un peu trop simple, avec la conviction que si le service était aussi bon qu’il prétendait l’être, il n’y avait pas de raison de ne pas le vendre (ou inversement !). Une réflexion sur la valeur en quelque sorte, partagé avec quelques-uns sur le niveau somme toute assez faible de la monétisation des espaces et l’exigence corollaire de réussite : dominer le monde.
Et de fait, avec le semi-échec de Facebook à monétiser autant qu’il l’aurait voulu son social-graph, une limite s’est sans doute matérialisée et avec elle l’idée que le champ des possibles en terme de monétisation publicitaire des usages était ouvert. Ben non, c’est plus compliqué et moins proche de nous que nous ne l’aurions pensé.
Alors certes, ça n’empêche pas de plus en plus de monde de gagner son pain avec la pub, sans bruit et masse critique de la population utilisatrice aidant, mais cela conforte l’idée que le gâteau a des limites et que les convives sont déjà nombreux. Si le produit ou le service est bon et le prix raisonnable, il n’y a aucune raison que les utilisateurs ne payent pas.


Aurait-on fait le tour des idées neuves en terme de publicité ? certainement pas, mais le fait est que les initiatives sont, notamment depuis cet été, plutôt dans le champ du payant.
Déjà, nous avions pu être étonné et stimulé par les résultats éloquents de quelques réseaux sociaux passés de mode, mais financés à coup de comptes premium. L’occasion de se rappeler que l’on a un jour sorti sans rechigner sa carte bancaire pour aller plus loin sur LinkeDin ou Flickr.
La semaine dernière, TechCrunch nous parlait de l’excellent taux de transformation de Hellotipi, un service de communautés familiale que j’apprécie personnellement vraiment beaucoup, dans lequel tous les membres de la communauté peuvent abonder au financement de l’espace.
Mais dans le registre, il y a surtout le secteur culturel. Si le produit est bon, il n’y a aucune raison que les utilisateurs ne payent pas. C’est typiquement le pari transformé par RadioHead et derrière lui un secteur culturel en mutation forcée. Alors qu’on aurait pu attendre un fort engagement dans la musique gratuite financée par le pub, nous assistons plutôt à une profusion de nouveaux modèles payants. Si l’industrie réinvente le commerce de gros via des droits d’exclusivité vendus aux fournisseurs de services, les artistes parient beaucoup sur la monétisation de l’attachement qui lie leurs fans à eux.
L’attachement à une valeur culturelle, c’est typiquement la nouvelle idée sur laquelle surfent les nouvelles initiatives médias. Il y a les émissions cultes, avec en pionnier Arrêt sur images, maintenant les grandes figures du journalisme avec la promesse d’une presse exigeante. Emmanuel Parody parle d’adhésion morale. Sans doute, mais je me demande si l’on n’est pas aussi dans la transformation des constats de la dernière séquence électorale et de ses suites, où l’on a observé une certaine envie d’engagement, de valeurs, et fini d’enfoncer le clou sur le déplacement du lectorat online.
S’en serait donc fini de la contradiction originelle du web 2, à savoir qu’en monétisant le contenu produit par les utilisateurs, il y a distorsion de valeur d’avec le client qui place au centre non pas le contenu qu’il dépose mais la socialisation (dont l’adhésion à un groupe fait partie) ou la notoriété qu’il en retire.
Avec la pub, l’enjeu du service est la quantité et le renouvellement, pas la qualité. Nous sommes déjà submergés d’info et déçus d’être noyés dans la multitude quelques mois après avoir joué les early adopters du nouveau réseau social à la mode. Cette période de saut de puces me paraît révolue. D’où la profusion des cercles fermés, un certain retour aux communautés, d’où la différentiation par le service payant. Le networking se précise et se professionnalise.
En ce qui concerne les médias, la nouveauté n’est pas dans l’accès à une information de qualité, elle est dans le projet collectif qui vise cette qualité, en mixant les idées participatives du web 2 avec celle d’engagement. Ceux qui payent pour MediaPart et assimilés ne sont pas abonnés, ce sont des sociétaires. Et au même titre que l’e-commerce voit aussi des clients devenir prescripteurs rémunérés, je veux bien faire le pari que nous verrons aussi des contributions rémunérées dans ces modèles à l’avenir. Comme un signe, Wikipedia, qui n’en fini pas d’être évalué sur sa qualité, commence à rémunérer ses illustrateurs. À être au même niveau que ses clients/utilisateurs, on partage vraiment avec eux le modèle économique, on devient un écosystème socio-économique. Voilà ce que j’ai envie d’observer de près dans les mois qui viennent.

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