21/09/2006

Enseignement 2.0, 2/ entrer dans la Société de l'Information

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Dans le premier épisode, je vous proposais un petit tour d’horizon des nouveaux usages pédagogiques engendrés par le web 2.0 et je remercie d’ailleurs les exemples livrés par les commentateurs. Aujourd’hui passons à un aspect plus stratégique, à savoir ce que tout cela implique pour les institutions. Elles sont en effet un terrain particulièrement intéressant si on en juge par deux éléments : elles sont confrontées au premier chef par les usages de nouvelles générations qui en sont friantes et en second par la liberté pédagogique chère au corps enseignant et qui invite sa frange la plus innovante à saisir les opportunités que le réseau lui donne. Or, nous avons vu précédemment que le web actuel n’en manquait pas. Voici donc comment les outils des institutions font face à ceux de cette gigantesque boîte à outils numérique qu’est maintenant devenue le réseau. une confrontation détonnante.


Parlons d’abord des jeunes.
S’il est quelque chose qui me frappe, c’est cette capacité à ne pas tenir compte de l’outillage individuel numérique large et diversifié dont l’internaute s’est doté, particulièrement les jeunes. À la rigueur on admet qu’ils ont un mail, mais ils ont aussi maintenant et massivement un (des) blog(s), photos et vidéos en ligne et je ne parle même pas du mobile. Les jeunes, élèves et étudiants (aprenants en jargon éducatif) sont outillés et avec une pratique banalisée voire très intégrée dans le quotidien.
En est-on au même point de banalisation des usages au niveau des institution. Pour ce qui est enseignants, je vous laisse en juger par ce billet de Versac et les commentaires qu’il a suscité. Pour ce qui est institutions, cette rentrée est marquée par plusieurs travaux qui mettent en lumière une fracture marquée entre le réseau et l’enseignement.
Cela fait en effet longtemps que l’école est attendue sur l’éducation aux médias, notamment à la télévision, la voici sur la sellette par rapport aux réseaux. InternetActu a relayé l’étude européenne MédiaPro qui a mise en lumière “l’incapacité de l’Ecole à éduquer à Internet” (sic), faisant réagir, entre autres mais non des moindres, Café Pédagogique. Il y a là un vrai problème. On a bien vu sur quelques affaires de blogs la crispation de l’institution face au phénomène, sans parler des difficultés à réguler l’usage des portables dans les établissements, où encore ces profs inquiets de se voir filmés en cours. Les usages numériques restent à la porte et son priés d’y rester bien souvent. C’est une attitude qui se comprend si on raisonne en organisation fermée avec ses règles, codes, donc problématiques de gestion, mais qui ne passe pas quand il s’agit du rôle de l’institution dans la société, donc la Société de l’Information. L’internet n’est plus en dehors de la société, il en fait partie. Nous, parents, avons à aider nos enfants à apprendre le réseau, mais l’école doit le faire, l’enseignement supérieur aussi. Ne pas maîtriser aujourd’hui un minimum les technologies de l’information à l’entrée dans la vie adulte relève de mon point de vue du handicap.
Du côté des enseignants maintenant.
Dans le moment que nous vivons, il est en un changement extrêmement important à l’échelle des organismes ou disons des environnements régulés dotés d’une autorité informatique et réseau. Ce changement, c’est qu’avec la nouvelle génération des services web apparus depuis 3 ans, le réseau propose toutes la palette des outils en ligne dont peut rêver un enseignant adepte des TICE (TIC appliquées à l’enseignement), mais qui devraient – traditionnellement – lui être fournis par son autorité.
Qui plus est, l’offre en ligne progresse à une vitesse fulgurante, bien plus vite que le rythme des projets et des investissements dans les organisations et je ne parle même pas de la conduite du changement que ces projets supposent et sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Le temps de décider, concevoir, mettre en oeuvre et en usage, une bonne année s’écoule, soit une éternité à la vitesse à laquelle évolue le réseau.
Le fait est que les enseignants les plus avancés n’ont pas attendu que leur établissement s’équipe pour s’outiller eux-même en ligne. Somme toute, sans parler de ceux qui ont créé leur propre site, Yahoo! groups et autres Affinitiz datent d’avant le web 2.0. Mais si les enseignants s’outillent, c’est notamment parce que les services sont pertinents et innovants, Il y a quantité d’exemples, mais pour aller au basique, regardons simplement le stockage. Là où beaucoup en sont encore à du FTP éventuellement via des outils web simples, il suffit de regarder ce comparatif aimablement produit par TechCrunch en janvier dernier. Extraction et dépot en drag & drop, versioning, partage, n’en jetez plus.
Si les enseignants s’outillent, c’est aussi parce qu’ils les valorisent en tant qu’individu, là où le système nivelle les identités. C’est une faiblesse bien connue des systèmes d’information du web 1.0, déjà abordée ici et .
Il y a un an déjà, nous discutions déjà d’une forme de compétition “concurrence” voire “opportunité”, c’est selon, entre le système d’informations (et les ENT notamment) et les services offerts par le web. Ce débat est plus que jamais d’actualité. Il pose la question de la capacité du système à s’articuler avec l’outillage web personnel de l’enseignant (la question se pose aussi pour l’étudiant), en adoptant les API et autres logiques de Mashups du web 2.0. Il invite aussi à savoir s’il ne vaut pas mieux profiter des outils du réseau plutôt que d’engager des projets coûteux pour les réinventer. la VoIP ou la vidéo en sont deux cas d’étude croustillants. Ce débat est d’autant plus intéressant si l’on considère la discours de la DUI (Délégation aux Usages de l’Internet), qui fait la promotion de services en ligne offerts par le réseau auprès des étudiants mais aussi des enseignants. Elle a raison la DUI, elle développe un discours où l’on fait partie du réseau, mais tout cela invite les institutions à trouver les solutions pour gérer ça, ce qui n’est pas un problème technologique, mais du registre réglementaire des usages. Permettre à l’étudiant de blogueur en articulation avec l’ENT en plaçant chacun dans sa responsabilité, voilà de quoi entrer dans la Société de l’Information tout en procédant à une éducation aux usages, non ?
J’étais à Montpellier en 2003 quand Claudie Haigneré a annoncé la fin des Campus Numérique et lancé les ENT. 2003, c’est frappant, car c’est aussi les prémices des blogs et du web 2.0. 3 ans plus tard, on sait où en est le réseau, quand aux ENT, fondés à une époque encore fortement marquée par les systèmes d’informations traditionnels, ils sont en train d’ouvrir en plein décalage par rapport à la réalité des services web actuellement fournis sur le réseau. Il pourrait y avoir un décalage sérieux entre l’attente d’usages, l’outillage des usagers et la réalité des services proposés, mais la modularité et la dimension agrégative de ces environnements offre une voie de sortie. Celle d’accueillir les outils du web dont sont équipés et s’équipent les usagers, encore faut-il, car c’est le préalable, adopter la politique numérique et se donner les instruments réglementaires qui permette cette ouverture.
Il est donc temps de placer le numérique au centre des enjeux, de décider que c’est important et à ce titre de franchir le pas d’entrer et d’être dans la Société de l’Information plutôt que de n’y voir qu’une boîte à outils. Ce challenge, il n’est pas limité au monde de l’enseignement, mais il se présente à lui de manière urgente et aiguë.

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