03/06/2005

Internet XXXII

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Il en est un certain nombre qui soutiennent ou simplement apprécient l’idée que nous sommes entrée dans un “Internet II” et je vous avoue que la formule m’agace car je la trouve réductrice et en décalage avec ce qui se passe vraiment. Voici pourquoi.


D’abord, pourquoi pas “Internet III” ou plus. “Internet II” a déjà été sérieusement usé pour parler de IPv6 il y a à peine 3 ans (clin d’oeil à Jean-Michel Cornu en passant), mais c’était déjà impropre. En effet, “Internet II” qualifiait ni plus ni moins que ce qui a suivi la préhistoire du net et les premiers contenus dits “multimédias”, comme le montre cet extrait d’un rapport d’information de 1998 par René Tregouët, sénateur numérique s’il en est. Sur Internet, on a parfois la mémoire courte, mais il faut aussi admettre que “Internet II” est un bon client pour le marketing.
Mais après tout, considérons derrière le libellé, l’idée qu’il y aurait effectivement une rupture, sinon une évolution majeure.
Premier problème, “Internet II” est actuellement utilisé par beaucoup de monde pour beaucoup de chose et il faudrait savoir de quoi on parle. Certains mettent en avant le P2P, les blogs, d’autres des réseaux sociaux, on trouve aussi les partisans de la 3G voire du développement du (vrai) haut-débit en dignes héritiers des promesses d’IPv6…
Exit les considérations purement technologiques ou d’infrastructure. S’il y a un changement, il ne peut être dictée que par les utilisateurs et leurs pratiques. Nous avons tellement vécu de pseudo-révolution annoncée à grand renfort de techno prometteuse pour grandir un peu.
À ce titre, le libellé s’avère encore un peu plus impropre. Internet identifie historiquement le réseau et pas spécialement ce qui se passe avec. Ne faudrait-il pas plutôt parler de “société de l’information II” ? Ok, c’est moins funky, mais cela a le mérite de se placer du côté des usages de masse.
Car dans cette histoire où certains veulent voire une logique d’escalier, il faut certainement considérer la Société de l’Information comme le processus innovant qu’elle est. Il s’y trouvent bien des phases, mais celles-ci portent sur l’évolution du processus d’appropriation, depuis les usages pionniers jusqu’à la massification qui sanctionne le succès et la banalisation des pratiques.
C’est à ce stade et sous cet angle que j’en arrive aux blogs, car ils ont eux-aussi droit à leur “Internet II”
J’aimerai que l’on n’oublie pas qu’avant les blogs il y a eu les sites persos et que, dans une forme qui a certes fait son temps, le site à finalité personnelle a déjà existé. Il y a eu aussi et il y a encore une utilisation massive des forums de discussion et du P2P. Il y a eu et il y a encore une utilisation forte et riche des communautés pédagogiques autour des environnements de groupware. Il faut donc se méfier d’un postulat trop rapide considérant les blogs comme l’an 1 d’une approche personnelle ou communautaire du web.
Le blog se révèle un modèle pertinent par la seule et unique raison qu’il est maintenant massivement approprié. Personne n’a décrété les usages qui sont à la base de ce phénomène de masse et si certains peuvent penser contribuer ici ou là à l’accélération du phénomène, ce sont bien les usages développés par les utilisateurs qui font progresser les choses et qui forment la vague.
Mais derrière les usages, il y a avant tout des humains et s’il y a un changement, c’est dans ce qu’ils sont et dans la manière dont ils vivent ensemble que celui-ci doit être recherché.
Sous cet angle, il y a effectivement quelque chose qui se passe. Cela n’a rien de technologique et ne se restreint pas à un usage lambda. Ce qui se passe, c’est l’arrivée de la première génération numérique, celle de ceux qui ont connu Internet et d’autres choses comme les jeux vidéos ou les téléphones portables depuis l’enfance. Cette génération entretient un rapport différent à l’information et aux médias, elle développent un appétit d’interaction et d’échanges qui bouscule les schémas traditionnels. Ils sont entrées dans leur 20 ans depuis peu et ce sont bien eux qui font du bruit. Joi Ito avait fort justement parlé de cela à Les Blogs.
Nous sommes donc bien dans une nouvelle génération et Internet n’est qu’un simple support à son expression. Vouloir réduire ou récupérer ce phénomène ne peut participer que de considérations mercantiles hors de propos. Leur culture n’en est qu’à ses débuts. Il vaut mieux arrêter de théoriser, regarder ce qui se passe et en prendre de la graine.

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